Hansel et Gretel
from the other side
« - Langue, langue lèche !
Qui donc ma maison lèche ?
- C'est le vent, c'est le vent.
Ce céleste enfant. »
La fin est véritablement le pire des fléaux. Elle vous pousserait à faire n'importe quoi. Elle vous ronge de l'intérieur, lentement mais sûrement, vous hante jusque dans votre sommeil, vous poursuit chaque minutes sans pénitence. La faim vous rend fou, vous ferez n'importe quoi pour y céder, pour la faire disparaître de votre organisme ne serait-ce que quelques heures.
Gretel et moi naquirent dans la faim, dans ce calvaire. Nos parents n'étaient aucunement riches : notre père n'était qu'un simple bûcheron tandis que notre mère vendait des objets qu'elle dénichait par-ci par-là. Les temps étaient durs, manger à notre faim était quelque chose que nous n'avons jamais véritablement connu. La privation, le manque, faisaient partie de notre existence, et non seulement étaient-ils déjà fortement présents, ils s'imposaient et occupaient davantage de place à mesure des jours qui défilaient. Si bien qu'alors que la faim nous tenait éveillés ma sœur et moi, nous entendîmes nos parents élaborer un plan qui définiraient notre vie pour ce qui semblait être à jamais. Jugeant la vie trop difficile, le nombre de bouches à nourrir trop imposant, nos parents optèrent pour se débarrasser de nous au fin fond de la forêt. Notre mère clamait que nous, de simples enfants, finiraient bien par se débrouiller par nous-mêmes et notre père finit par obtempérer, le cœur lourd.
Effaré, je me blottis contre ma sœur avec la sensation que le ciel nous tombait sur la tête. Une famille n'était-elle pas sensée rester unie même dans les difficultés ? C'était peu humain d'abandonner le fruit de ses entrailles au profit de son estomac. Alors que Gretel retournait se coucher dans le lit que nous partagions, je regardais par la fenêtre, luttant contre la fatigue. Le clair de lune se reflétait sur les petits cailloux près de la maison, ce qui finit par me donner une idée. Je poussais la porte boisée de notre modeste maison et emplissait mes poches de cailloux. Alors que je rejoignais ma sœur dans notre couche, je lui murmurais à l'oreille :
« Dors tranquille. Je trouverai un moyen de nous en tirer. » Tôt le matin suivant, notre mère nous tira du lit. Elle nous donna à chacun un morceau de pain pour le voyage et nos parents nous emmenèrent dans la forêt. A bonne distance de la maison, ils prétextèrent partir chercher du bois pour faire un feu et nous sommèrent de les attendre sans bouger. Nous nous exécutâmes. Ils ne revinrent pas et nous nous endormîmes de fatigue. Je fus réveillé plus tard par Gretel.
« Comment ferons-nous pour sortir de la forêt ? ». Je me redressais, levant les yeux vers le ciel par chance dégagé.
« Attends encore un peu, jusqu'à ce que la lune soit levée. Alors, nous retrouverons notre chemin. » Quand la lune fut haute dans le ciel, nous suivîmes les cailloux que j'avais semé durant le chemin et finirent par atteindre notre maison à l'aube. Cependant, le lendemain, nos parents prévirent une nouvelle escapade en forêt et nous abandonnèrent de nouveau. Cette fois-ci, la porte ayant été verrouillée par notre mère durant la nuit, je n'avais su emplir mes poches de cailloux et les oiseaux de la forêt avaient dégusté le pain que j'avais lancé à la place de ceux-ci. Nous étions perdus.
Nous marchâmes trois jours sans succès, ayant perdu tout repère dans cette immense forêt. Affamés, n'ayant aucune réserve de nourriture, nous finîmes par nous arrêter. Un oiseau blanc comme neige se mit alors à chanter. Dans un silence religieux, nous l'écoutâmes puis nous jugeâmes n'avoir rien à perdre à le suivre lorsque celui-ci déploya ses ailes pour s'envoler vers l'est. Il nous guida jusqu'à une maison construite de pain d'épice. Ne pouvant résister à l'appel de l'estomac, Gretel s'attaqua aux carreaux et moi au toit, décidé à mettre un terme à la faim qui nous tiraillait depuis bien trop longtemps désormais. Mais notre plaisir fut de courte durée. La propriétaire de la maisonnette, une vieille femme aux yeux rougis, apparut devant nous et nous somma d'entrer, nous promettant qu'aucun mal ne nous sera fait. Cependant, dès le lendemain matin, je fus enfermé dans une cage dans l'étable et Gretel fut réduite à l'esclavage, ayant pour mission de m'engraisser en vue de procurer un bon repas à la vieille femme cannibale. Chaque jour, c'était la même histoire. Gretel m'apportait un plat et la monstrueuse femme ordonnait que je lui tende un doigt pour qu'elle constate à quel point je m'engraissais. Cependant, je lui tendais un os et c'est dépitée qu'elle conjecturait que je ne prenais pas le moindre gramme. Malheureusement, sa patience eut des limites et un autre matin elle dicta à Gretel de préparer le chaudron dans lequel elle prévoyait me faire cuire. Mais avant cela, elle voulait manger Gretel, la faisant rôtir en l'enfermant dans son four. C'est ainsi qu'elle demandait à ma sœur de vérifier la température du dit four en entrant dedans. Ma sœur prétexta de ne pas savoir comment faire et lui demanda de le lui montrer. La vieille femme, après l'avoir traitée d'enfant stupide, lui montra et Gretel en profita pour l'enfermer dans le four. Elle déroba les clefs de ma cage et nous fuîmes.
Courir. Notre existence semblait vouée à la fuite. Gretel courrait devant moi, toujours plus vite, elle ne semblait pouvoir s'épuiser alors que je n'en pouvais déjà plus. Je désserais ma main de la sienne mais elle la tenait toujours aussi solidement en retour, résigné à me faire la suivre jusqu'à encore plusieurs kilomètres.
« Gretel ! » Ma sœur ne s'arrêta pas. Seule une racine qui se prit à ses pieds stoppa sa course. Dans un dernier élan de force, je me ruais vers ma sœur, m'assurant qu'elle allait bien. Des larmes inondaient son visage. Nous nous relevâmes, la peur d'être retrouvée par la propriétaire de la maison en pain d'épices nous motivant. Cependant, un ruisseau finit par nous stopper derechef.
« Hansel, tu crois que… » Je savais que ma sœur évoquait la mort de la vieille femme. On était toujours sur la même longueur d'ondes, même en situation de crise.
« Peut-être … » Je levais les yeux vers ma sœur qui paniquait.
« Oh mon dieu, je viens... Je viens de... » Je déposais mes mains sur ses joues, l'obligeant à me regarder, décidé à la tranquilliser.
« Gretel, tu nous as juste défendus. Elle allait nous manger. Tu comprends ? C'était soit elle, soit nous. » « Comment on a pu en arriver là ... » Je grimaçais. Nous connûmes nous deux la réponse : c'était de la faute de nos parents. Pourtant, au cœur de la forêt, Gretel et moi eurent du mal à nous mettre d'accord sur ce que nous allions faire désormais. Je pensais que le mieux était de tenter de retourner chez nos parents, alors que Gretel estimait qu'après qu'ils aient tentés de se débarrasser de nous deux fois, il était inutile de les tenter une troisième fois. Cependant, elle me céda et nous marchèrent en vue de retrouver notre demeure parentale. Finalement, nous y parvînmes. Pendant notre absence, notre mère était décédée et notre père nous accueillit chaleureusement, n'ayant su éprouver le moindre bonheur depuis que ses enfants étaient disparus. Hansel et moi déposèrent sur la table les bijoux que nous avions subtilisés à la vieille sorcière et nous vécûmes heureux et le ventre plein, ne manquant plus de rien.
Aedan et Zelda
to the real world
« Hearts entwined
Twenty fingers, twenty toes,
two sweet babies with cheeks of rose.
Born on the same day, two gifts from above,
lives entwined, two babies to love. »
Du plus loin que je m'en rappelle, nous avons vécu là-bas une bonne partie de notre enfance. Cette maison un peu plus éloignée que les autres si bien que nous ne connaissions pas vraiment les autres enfants de la ville avant d'entrer à l'école. Mais ce n'était pas comme si nous avions besoin réellement d'amis, nous nous avions nous. Des jumeaux se suffisent.
Donc l'histoire comportait principalement trois personnages : Zelda, notre mère et moi. Notre père ? Inconnu au bataillon. Nous ne l'avons jamais connu et notre mère n'en parlait pas. J'ignore à quoi il ressemble, s'il était bon ou mauvais. Dans tous les cas, il devait être lâche puisqu'il a abandonné notre mère lorsqu'il a appris qu'elle était enceinte. Il n'a même pas pris la peine de savoir s'il allait être père d'un fils ou d'une fille. De toute manière, il aurait eu une belle surprise, puisqu'il est père d'un fils
et d'une fille. Ma mère attendait des jumeaux. Il aurait pu la voir grossir encore et encore, frisant l'explosion, mais non, il a préféré prendre les jambes à son cou. Alors, nous grandîmes sans père. Mais quelque chose qu'on ne possède jamais ne nous manque pas forcément, n'est-ce pas ? Et puis, notre mère nous aimait de tout son cœur. Toute sa vie nous était consacrée, tout son amour n'était que pour nous. Nous n'étions pas très riches, mais nous ne manquions jamais vraiment du nécessaire.
Mais toute bonne chose a une fin, n'est-ce pas ? Ma mère mourut lorsque nous avions neuf ans. Nous voilà donc rétrogradés au poste d'orphelins. Entre Zelda et moi, j'étais celui qui lisait le plus. J'ai toujours aimé les livres, je les ai toujours dévorés et chéris. Si bien que je savais ce qui nous attendait désormais qu'aucun parent ne veillait sur nous. De grandes personnes viendraient nous chercher et tenteraient de nous placer en famille d'accueil, ils nous sépareraient probablement car personne ne veut s'enquiquiner de jumeaux. Encore moins quand ils ne sont pas les leurs. Alors, Zelda et moi prirent la décision de fuir. Feindre que nous n'étions pas seuls, faisant tout pour que jamais on ne nous sépare, que jamais on n'ose nous séparer.
« On peut en avoir ? » L'homme assis sur son banc, un sac plein de petits pains, nous regarda l'air peu sympathique.
« Non. » « Mais vous en avez plein. Votre mère ne vous a jamais appris à partager ? » « Votre mère ne vous a-t-elle jamais appris à ne pas parler aux inconnus ? » Zelda et moi échangeâmes un regard.
« Où sont vos parents, d'ailleurs ? » « On en a pas. » « C'est ridicule, tout enfant a des parents. » « On est pas comme tout le monde, alors. » « Mais on a quand même faim... » fit remarquer Zelda dont le ventre gargouilla. L'homme finit par nous céder son sac entier. Zelda et moi nous installâmes sur le banc, le sac sur les genoux de ma sœur. Étonné par l'appétit des enfants, l'homme les interrogea sur qui pouvait bien s'occuper d'eux. Je répondis.
« Ils veulent nous séparer. Mais on ne sépare pas des jumeaux. » « Ha oui, des jumeaux. » prononça l'homme, un air dégoûté facilement décelable, comme s'ils considérait ces êtres comme de pures vermines.
« Levez-vous, fénéants ! » J'ouvris les yeux sur le regard assassin de la propriétaire de la pâtisserie qui nous hébergeait depuis la veille. Il faisait encore nuit noire, dehors.
« Vous serez mes employés. Je vais vous montrer comment travailler, et vous le ferez chaque jour de l'année. Vous tiendrez mon commerce. Tu seras en cuisine » Elle me désigna d'un coup de menton peu gracieux
« Tu seras en salle. » Elle désigna cette fois-ci Zelda.
« J'aime que le travail soit bien fait. Si quelque chose ne se passe pas impeccablement, vous déguerpissez d'ici. Compris ? » Zelda et moi étions déjà prêts à l'ouvrage. Nous répondîmes à l'unisson
« Compris. » Zelda et moi devinrent les nouvelles figures de la pâtisserie. Bien que nous étions sensés être des « employés » pour reprendre les dires de la propriétaire, « esclaves » était le terme le plus correct. Cependant, jamais nous n'avions vraiment songé à partir concrètement. Nous avions la chance d'être ensemble, Zelda et moi, et bien nous ne menions pas la vie la plus extraordinaire et agréable du monde, nous avions tout de même un toit et de la nourriture. La leçon qu'on retient lorsqu'on a tout perdu et qu'on doit tout faire par soi-même, tout récupérer, c'est qu'on valorise chaque chose que l'on retrouve. Et puis, depuis que la vieille femme avait annoncé que nous étions ses enfants adoptifs, nous étions en quelque sorte protégés d'une quelconque séparation.