Cette passion si débordante pour le moyen-âge et les armes médiévales commençait sérieusement à me faire défaut et, ces derniers jours, il m'arrivait même de remettre en cause ma santé mentale. Rien qu'à voir ces rêves étranges que je faisais depuis l'acquisition de ma dernière épée, une vraie beauté dorée dont les gravures de la lame avaient malheureusement disparues avec le temps en ne laissant que de fines traces, pouvaient démontrer à quel point j'étais au bord du gouffre. J'aurais bien mis ces fantaisies de mon esprit sur le compte de la morosité de ma vie actuelle si elles ne m'étaient pas apparues si réelles la nuit dernière. La soirée au bar avait été harassante mais peu importe à quel point j'étais fatigué ce soir-là, je ne pouvais nier le trop plein de sentiments inconnus qui avaient fait surface en moi à mon réveil le lendemain matin. Quoi qu'il en était, j'étais actuellement tiraillé entre des dizaines de réflexions plus loufoques les unes que les autres qui m'empêchaient totalement de pouvoir me servir de toutes mes capacités intellectuelles. Et croyez-moi, douanier ou non, il est plus que frustrant de ce sentir mentalement impuissant contre toutes ces pensées qui vous assaillent.

« Moins d'une semaine que nous sommes réunis et il faut déjà que l'on vous arrache à ma personne. Promettez-moi que vous ferez attention à vous plus que jamais. » murmura t-elle dans la plus grande discrétion. Pourtant alourdi par une épaisse côte de maille qui compressait mes poumons m'empêchant presque de respirer, cette femme me donnait l'impression de pouvoir voler et qu'à n'importe quel moment à ses côtés, j'aurais pu décrocher la lune. Mon cœur me poussait à la prendre dans mes bras pour l'embrasser passionnément afin de me donner le courage requis à l'accomplissement de ma mission, mais nous devions sauver les apparences devant son mari le roi et je lui baisai simplement la main avant d'enfourcher ma monture grise. La belle demoiselle s'élança alors vers moi avec toute la grâce du monde et je répondis enfin à ses attentes : « Je serais de retour avant même que vous ne remarquiez mon absence. » Sur ces paroles, je lançais ma monture vers les portes de la ville en direction du château de la Douloureuse Garde où tout un village attendait désespérément le jour où ils seraient enfin délivrés. La route était longue et même si je ne saurais dire combien de jours et de nuits cela me pris pour arriver à destination, je sentais peser sur moi tout l'épuisement de mon périple bien que mon corps refusait de prendre une pause. Chaque secondes à flâner m'éloignaient un peu plus du jour où je pourrais de nouveau m’enivrer du parfum suave de ma bien-aimée. Compte tenu de mon état physique aussi bien que mental et de mon amure qui rajoutait une difficulté conséquente à la réussite de ma tâche, le combat face aux vingt chevaliers du château n'en fut que plus rude et éprouvant. Mais lorsque je sentit mes forces m'abandonner lâchement, tous mes opposants se trouvaient à terre, baignant dans leur propre sang qui souillait le sol. Sans perdre de temps une fois ma mission accomplie, je chevauchais sans relâche pour la retrouver mais, au détour d'un chemin, une tombe attisa mon attention et ma curiosité l'emporta. La pierre était magnifique et, pour en avoir vu de nombreuses semblables, je savais pertinemment qu'il s'agissait là de la dernière demeure d'un chevalier. M'agenouillant en signe de respect, c'est à ce moment symbolique que l'épée dorée attira mon regard. Les yeux rivés sur une telle merveille je m'approchais peu à peu de la gravure sur la lame qui scintillait sous le soleil...

La sonnerie de mon réveil me fit sursauter dans mon lit, laissant un gout d'inachevé et d'insatisfaction dans l'air matinal. Et alors que tous les sentiments qui avaient assailli mon corps tout entier durant ce rêve s'estompaient peu à peu, je repensais au livre des légendes arthuriennes posé visiblement sur mon bureau et dans lequel je m'étais plongé la veille. Délaissant la douce chaleur de mes couvertures, je me dirigeais, d'une manière quelque peu maladroite encore étourdi par les bribes de mon inconscience, vers le bouquin aux pages anciennes et jaunies par le temps. Puis, parcourant en diagonale le chapitre que j'avais lu avec attention avant d'aller me coucher le soir dernier, je remarquais qu'il résumait bien ce dont j'avais rêvé. D'un geste las je refermais le livre et, me retournant vers Graal, un superbe-chien loup de Tchécoslovaquie qui partageait ma vie d'aussi loin que je m'en souvienne, lui adressa la parole tout en caressant sa fine tête. « Et le pire dans tout ça, c'est que j'y aurais presque cru. » Naïf ..