Il était une fois, dans la forêt des contes merveilleux, l’histoire d’un grand loup noir qui terrorisait aussi bien les villages de ces contes que les lecteurs de ces récits d’aventure. La lune semblait briller chaque nuit au dessus des arbres pour éclairer son pelage, alors que, dans le silence alentour, ses cris d'animal en faisait frissonner plus d’un. Longtemps on avait essayé de le tuer, voulant mettre fin à ces disparitions naissantes. Animaux, femmes et même enfants disparaissaient après avoir eu le malheur de croiser son regard assoiffé de sang. C’est ce que l’on disait, menaçant l’animal qu’il était a terminer sa vie entre les serres de la souffrance comme il avait fait subir celle là à tant de personnes. Doctrine enfantine mêlant un des plus grands prédateurs de l’homme. Le combat d’une survie entre deux êtres que tout opposait.
Tuer ou être tué
La règle de la vie, la condition de la survie.
Mais un jour, alors que ce majestueux et monstrueux loup traçait de ses pas le chemin de son existence, une enfant d’à peine dix ans croisa son regard. Elle marchait vêtue de cette cape rouge rompant la couleur sombre de la forêt. Elle avait ce visage rond et innocent d’enfant, les joues rosées de l’insouciance. Et il n’avait qu’une envie, c’était de faire d’elle son prochain repas. Et pourtant il n’en fit rien, restant des années durant à la voir passer, à la suivre. Il savait qu’elle n'ignorait pas qu’il était là, à la regarder, et pourtant elle revenait chaque fois portant son panier contre son bras, vêtu de cet éternel vêtement qui à défaut de la camoufler du prédateur, attirait son regard et son appétit. Elle déposait même de la nourriture à son égard. Et pourtant il restait chaque fois plus distant, se masquant dans la forêt sans pour autant cacher sa réelle présence. Mais il était presque toujours là à attendre avec impatience le jour il aurait la joie de gouter à cette jeune enfant qui devenait au fil du temps une magnifique jeune femme.
Et le jour arriva enfin où il s’approcha d’elle, le regard bienveillant et l’approche confiante. Sa faim grandissait à chaque pas qu’il faisait vers elle, et pourtant sa patience l’incita à attendre. Il avait attendu tellement d’années que quelques minutes de plus n’auraient été que des grains de sables de plus dans le sablier du temps… Se méfiant des bucherons alentour il lui demanda où elle allait. Elle restait confiante malgré son âge et sans même se méfier elle lui indiqua le chemin à prendre pour aller jusqu’à chez sa grand-mère. Le loup, impatient d’enfin se délecter de cette chair qu’il avait tant voulu gouter, s’élança sur un chemin opposé, l’incitant à en prendre un autre. Sa ruse mise en place, il courut jusqu’à la maison que le chaperon rouge lui avait décrite.
Aussi rusé fut il, il se fit passer pour la jeune femme, laissant croire à la grand-mère qu’il lui apportait la galette et le petit pot de beurre demandé. Celle ci ne se méfiant pas, invita le loup à pénétrer dans la bergerie. Mais avant même qu’elle n’est eut le temps de se rendre compte de l’identité de son invité, la masse sombre du loup se jeta sur elle, la dévorant sans aucune pitié pour ensuite prendre sa place dans le lit et attendre gentiment ce qui devait être son dessert tant attendu. C’est d’ailleurs quelques temps après que le chaperon rouge vint enfin heurter à la porte. Le loup reprenant les paroles précédentes de la grand-mère l’invita à entrer, sentant la fin de ce conte et de cette attente bientôt arriver. Il se dissimula sous la couverture avant de lui demander de poser la galette et le petit pot de beurre sur la huche et de l’inviter à prendre place dans le lit.
«
- Ma Mère-Grand, que vous avez de grands bras ?
- C'est pour mieux t'embrasser, ma fille.
- Ma mère-grand, que vous avez de grandes jambes ?
- C’est pour mieux courir, mon enfant.
- Ma mère-grand, que vous avez de grandes oreilles ?
- C’est pour mieux écouter, mon enfant.
- Ma mère-grand, que vous avez de grands yeux ?
- C’est pour mieux voir, mon enfant.
- Ma mère-grand, que vous avez de grandes dents...
- C’est pour te manger.»
Et avant même qu’elle ne put lui répondre, il se jeta sur elle pour la mangea et mettre fin à ces années d’attentes, mettre fin à ce conte affrontant les deux prédateurs des forets. Tout aurait pu se finir, le loup aurait pu enfin jouir de cette obtention… Mais il y avait ce bucheron, marchant dans la forêt, qui en passant devant la maison avait entendu le cri sourd du chaperon rouge. Sans attendre il prit sa hache et affronta ce grand prédateur, lui assénant un coup à la tête pour ensuite lui ouvrir le ventre et en faire sortir les deux femmes…
Qui à dit que la fin se terminait dans le lac situé à quelques minutes de la maison ? Qui a dit que ce ventre ouvert sans remords serait remplit de pierres pour à jamais faire disparaitre le corps de la pire crainte de l’homme ?... Le conte… Seulement au même moment un sort fut jeté sur cette terre imaginaire, plongeant chaque personnage dans l’oubli, les laissant s’endormir dans leur propres contes et sauvant par la même occasion ce loup qui par ce tour de force, venait d’échapper à la fin tragique qui lui était destinée…
Serait ce le début d'une fin ?...
Il n’y avait plus rien… Une ville, un lit et l’oubli. Une cicatrice le long de son torse, se prolongeant de son thorax au bas de son abdomen. Ses souvenirs… Il était apparemment né avec, chose étrange et pourtant si plausible dans ses souvenirs. Elle l’intriguait cette marque, ce lien entre son passé oublié et sa vie inventée… Il y avait aussi ces rêves jonglant entre le noir et le blanc et laissant échapper cette cape rouge dans la forêt. Il y avait du sang, des lames et ils restent pourtant présents… Car oui, sa vie ne se résume aujourd’hui qu’à cette illusion qui le plonge dans un cauchemar perpétuel et pourtant dans la prolongation de sa vie. Un loup barman ? Qu’elle drôle d’idée… Il chante parfois, accompagné de sa guitare, remerciant sans doute inconsciemment celle qui l’a sauvée. Elle ne le sait sans doute pas et lui non plus. Pourtant son passé le hante sans qu’il ne comprenne, les coïncidences et les images torturant son esprit. Il n’a malgré tout rien perdu de sa fougue, restant le loup qu’il était dans ce corps d’humain.
Inconsciemment il se plait à être cet homme que personne ne soupçonne, cet homme que personne ne rejette. Il ne comprend pas vraiment pourquoi mais il ressent un sentiment étrange face à cette situation qui lui parait aussi exceptionnelle que normale. Mais qu’en est-il du reste ? De la vérité ? Personne ne le sait… Il est humain… Il est ce monstre devenu l’image de son plus grand prédateur, et vivant désormais comme lui. Il dort dans un lit, vit dans un appartement, n’a pas le sens du rangement mais semble prendre gout à cette vie même si la forêt l’appelle encore cherchant à le ramener sans y parvenir.
Que restera t il ?...
Qui vivra heureux… Parviendra t il à échapper à ce destin ?
Peut être un jour ses blessures se rouvriront par cette hache, et le contact des pierres le plongeront à jamais dans la fin qui était prévue… Pour qu’à jamais le conte puisse signer de sa plume ces derniers mots : Ils vécurent heureux…